Le 26 avril 1979, Sarkis débarque pour la première fois sur le quai de la gare de Strasbourg ; il ne connaît personne, pas même celui qui l’a invité. Exactement dix ans plus tard, alors que l’Alsace est considérée comme un des foyers les plus actifs de la création en France, il convient de prendre la mesure du chemin parcouru et de discerner la part qui revient au travail accompli par Sarkis. C’est l’occasion également de préciser la place et le rôle que tient Strasbourg dans son œuvre, mais avant tout, comment cet homme a-t-il rencontré ce lieu et pourquoi ce lieu a-t-il su le retenir ?

Son premier contact avec l’Alsace fut, à vrai dire, presque fortuit ; en tous cas, il fut très bref ; Strasbourg ne constituait alors qu’une courte halte de quelques minutes sur la route vers l’Allemagne où, deux jours plus tard, Sarkis devait ouvrir une exposition. Il était attendu par le sculpteur Erich Hauser, fondateur d’une dynamique association d’artistes, Forum Kunst, dans la petite ville de Rottweil, située au centre de la Forêt-Noire. Ce sculpteur, Grand Prix de la Xe Biennale de São Paulo, m’avait demandé d’organiser un cycle de quatre expositions significatives de l’art en France ; après avoir présenté Raymond Waydelich, Bertholin et Olivier Debré, je devais clore cette série par l’œuvre du sculpteur César. Il m’avait donné son accord mais malheureusement (?) trois semaines avant l’inauguration prévue et annoncée, les deux galeries propriétaires de la plupart des œuvres anciennes se désistèrent. Je songeai immédiatement à Sarkis, sachant qu’en France, il était sans doute le seul artiste d’envergure susceptible de se mobiliser dans des délais aussi brefs ; ne le connaissant pas personnellement, je pris l’initiative de lui téléphoner à Paris pour lui faire part de ma proposition « brûlante ». Avant de me donner une réponse définitive, il me demanda un délai d’une nuit ; il eut la gentillesse et surtout l’audace de relever le défi : l’exposition fut réussie et elle s’ouvrit à l’heure dite (sans précipitation).

La même année, la question se posa à l’Ecole des Arts Décoratifs d’établir le programme des artistes invités ; ceux-ci étaient appelés à ouvrir la pédagogie en permettant de sensibiliser les étudiants aux réalités du monde artistique ; Camille Hirtz, Jean-Marie Krauth et moi-même avions alors très spontanément proposé à Sarkis de venir travailler plusieurs jours avec les étudiants du Département Art, une section créée alors à titre d’essai. Après une vingtaine d’heures de discussions et d’échanges extrêmement chaleureux et fructueux, des travaux d’excellente qualité virent le jour. Quelques mois après, un concours pour le recrutement d’un nouveau coordinateur du Département Art fut annoncé ; d’un seul élan, étudiants et professeurs firent savoir à Sarkis qu’ils souhaitaient tous vivement qu’il se portât candidat ; ce qu’il fit ; le jury n’eut apparemment pas de mal à porter son choix sur lui puisqu’il fut désigné lauréat à l’unanimité… à la grande joie de ses futurs étudiants. Dès sa première année d’enseignement, les résultats obtenus, notamment ceux des diplômables se révélèrent encourageants, ce qui stimula davantage nos efforts. Il faut reconnaître que pendant des années, le Département Art rencontra une hostilité plus ou moins explicite mais ces difficultés n’eurent pour effet que de renforcer la solidarité à l’intérieur de cette nouvelle section.

C’est en tant que créateur que Sarkis vint les premières fois à Strasbourg et c’est avec une exposition qu’il manifesta sa présence, et ce, dès sa première semaine d’enseignement. A ce moment, le local de l’unique association de jeunes artistes Attitude venait d’être ravagé par un grave incendie. Ayant appris la chose, il proposa aux responsables d’organiser au plus tôt une intervention dans les lieux tels qu’ils étaient. L’exposition « Le Silence éclairé du Blackout » s’ouvrit le 15 octobre 1980 : Sarkis avait intentionnellement ignoré les salles du haut qui avaient été moins touchées par le feu et avait investi tout l’espace des caves ; il y avait placé une grande inscription en néon vert, tournée vers le sol afin que la lumière seule fût visible. La cave, plongée dans une inquiétante lumière verdâtre était jonchée de gravats et d’outils qu’intentionnellement il n’avait pas déplacés ; ici, sur une sorte d’évier était disposée une planche de bois brut, récupérée, sur laquelle était tracée, au goudron, un mot, DER TRAUM, là une autre portait la reproduction, vigoureusement peinte, d’une trace, découverte un jour par Sarkis dans une base sous-marine allemande, à Bordeaux. Ici encore, un néon portant le nom DRAKULA… Je pense que je ne fus pas le seul à avoir été dérouté alors par cette installation -intervention, la première, à ma connaissance, présentée dans la région.

Cette exposition prend, avec le recul du temps, une valeur quasi emblématique de la situation de l’art contemporain en Alsace : une situation non seulement en friche, mais dévastée. C’est sur ce terrain qu’il intervenait dorénavant et qu’il continuerait d’agir, sans attendre. Il montrait clairement quel artiste il était et avançait, à visage découvert, avec son travail. J’ignore s’il avait compté donner au « Silence éclairé du Blackout«  une portée explicitement pédagogique, mais l’exposition fut exemplaire surtout pour les nouveaux étudiants ; elle semblait indiquer que tous les lieux, même les plus ingrats, pouvaient, devaient être investis. Le chemin était tracé : dorénavant il fallait devoir renoncer à la résignation et prendre la situation en main. Et cela, l’exemple seul pouvait le montrer.

Toujours au cours de la même année, Sarkis détecta un malaise qui entravait les étudiants ; ceux-ci éprouvaient la plus grande difficulté à établir une relation entre ce qu’ils faisaient, leurs essais journaliers, leurs recherches tâtonnantes, bref, leurs efforts plus ou moins maladroits et ce qui était présenté comme des œuvres d’art authentiques, c’est-à-dire les peintures et les sculptures qui font la fierté des musées. Il lance alors l’idée d’entrer en contact avec la Direction des Musées de Strasbourg et formule une demande inattendue : le prêt, pour un jour, d’une œuvre majeure de Hans Arp, la Petite Vénus de Meudon. Ainsi, pendant une journée entière les étudiants ont-ils pu voir, toucher même, une véritable « œuvre d’art » dans leur propre espace de travail, à coté de leurs réalisations. L’œuvre fut analysée, observée pendant des heures ; on évoqua la vie de son auteur, on rappela que Arp fut, lui aussi, étudiant dans cette école où se trouvaient ensemble la sculpture et les jeunes étudiants. Nous tentions de restituer les différentes phases d’élaboration de la sculpture, un peu comme si nous pouvions assister, au-dessus de l’épaule de l’artiste, à son modelage et nous évoquions les sentiments qu’il ressentait, ceux qu’il voulait exprimer. La muséification qui parasitait involontairement l’âme de l’œuvre s’était effacée Le voyage du musée à l’école avait redonné vie à la sculpture, selon un processus inverse à celui des ready-made. La même œuvre, placée ici ou là, n’avait plus la même signification ; elle n’était plus la même

Dans la lignée de ces actions pédagogiques (mais nous n’aimons pas beaucoup ce mot), Sarkis institua le principe des « voyages-éclairs », décidés souvent du jour au lendemain, pour les destinations les plus variées, selon l’actualité des expositions. Bâle, Berne, Baden-Baden s’ajoutèrent ainsi aux voyages plus lointains, organisés ceux-ci (Vienne, Berlin, Madrid, Amsterdam…). Il faut aussi évoquer le « pèlerinage » annuel dédié au retable d’Issenheim. Chaque printemps, ou presque, nous allons « rendre visite à Grünewald ». Sarkis prétend qu’il aime venir en Alsace principalement à cause de ce chef-d’œuvre ! Face à ce monument, bien des étudiants sont bouleversés, et un regain de tonus est souvent perceptible dans les travaux qui sont réalisés après cette visite… A plus de quatre siècles de distance, Grünewald continue à envoyer son exceptionnelle énergie. Avec l’exposition « Situations – Mutations », ouverte en novembre 1981, un pas supplémentaire est franchi : des étudiants allaient avoir l’occasion de présenter, au sein de l’école, leurs travaux à coté de ceux d’artistes consacrés.

Pour la première fois, Strasbourg avait l’occasion de voir réunies des œuvres de Boltanski, de Buren, de Bay, de Filliou, de Rutault et de Toroni. L’exposition, conçue par Jean-Hubert Martin, alors conservateur au Centre Georges Pompidou, était réalisée spécialement pour les écoles d’art ; nous avions réussi à faire en sorte que cette exposition itinérante commençât son périple par Strasbourg. En réalité, nous avions détourné quelque peu l’esprit de cette manifestation, puisque nous avions encouragé quelques étudiants, attentifs à la question du rapport de l’œuvre et du lieu, à se joindre aux exposants prestigieux. A cette occasion furent exposées pour la première fois les travaux de Gérard Collin-Thiébaut, de Manfred Sternjakob, de Marc Bietry et d’Ikeya. C’est aussi à partir de cette exposition que l’on commença à parler de l’école dans la presse nationale.

En juin 1982, une autre exposition fut présentée à l’Institut Qualité Alsace sous le titre un peu provoquant : Réponse à la crise des arts plastique en Alsace ou Marc Bietry, Agnès Bourrinet, Gérard Collin-Thiébaut, Annie Greiner, Rachid Madani, Pierre Wachs. Ainsi, peu à peu, une nouvelle génération, consciente de sa détermination forte de ses convictions, se manifestaient par toute une série d’expositions spontanées.

Voyages

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Quand les Attitudes deviennent Formes, Museum Haus Lange Krefeld, Kunsthalle Bern – I.C.A, Londres, 22 Mar – 27 Avr 1969

Lorsque Sarkis arrive à Strasbourg, son travail bénéficiait, depuis 10 ans déjà, de l’estime des connaisseurs. Il fut notamment sélectionné pour Quand les attitudes deviennent forme [ill. 1], en 1969, à Berne ; cette manifestation, devenue quasi mythique attira l’attention sur une nouvelle esthétique qui confirma, sur le plan européen, entre autres, l’émergence de ce que l’on appelle l’Arte Povera ; à 41 ans donc, il a déjà participé aux plus importantes expositions collectives (notamment à la Dokumenta VI en 1977) et certains musées français et étrangers lui avaient consacré des expositions personnelles (le musée de Saint-Etienne, le Centre Georges Pompidou, le Westfälisher Kunstverein de Münster [ill. 2], le Centre d’Art contemporain de Genève, la Neue Galerie d’Aix la Chapelle…).

KRIEGSSCHATZ KLASSENKRIEG, Westfälischer Kunstverein, Münster, 14 Jan – 25 Fév 1978

Or, après son intervention (discrète) dans l’espace Attitude, le public dut attendre Maintenant, c’est-à-dire, sept ans après son arrivée à Strasbourg, pour apprendre, grâce à cette exposition d’envergure européenne, que Sarkis travaillait dans la ville. Encore cette exposition « Maintenant » ne put-elle être imaginée qu’à la faveur d’un changement de direction des musées. Invité plusieurs fois par an, au quatre coins du monde (Sao Paulo, Sydney, Helsinki…) sa présence régulière à Strasbourg ne manqua pas d’affecter le rythme de son travail artistique. Il réussit à faire de cette contrainte que sont les voyages, souvent harassants, un principe régénérateur… Non seulement, la notion de voyage intervient toujours plus fréquemment dans le titre de ses œuvres après sa venue en Alsace comme par exemple dans ce titre « flamboyant », désignant la sculpture de l’esprit japonais : « Entre Saverne et Istanbul, le Soleil brille comme un laser, et Maintenant entre Strasbourg et Istanbul, le Soleil brille comme un laser« , mais le mot même de voyage va être utilisé comme titre d’exposition : « Le Voyage de la Sculpture du Pêcheur en Monte-Charge« [1].Il consigne d’ailleurs dans son carnet de bord [2] « Istanbul le premier Août 1983: les expériences, les lectures, les écoutes, les films, les discussions qui m’ont passionné pour cette aventure-exposition : les écoutes de Schönberg, Webern, Berg par Boulez pendant mes voyages Paris-Strasbourg (avec le walkman…) ».

Voyages dans l’espace, mais aussi dans le temps (« La Fin des Siècles, le Début des Siècles« ) [3],voyage entre l’enseignement et l’art, voyage de tous les trésors de guerre (Kriegsschatz),voyage entre le visible et l’invisible (toute la série des « Blackout » depuis 1974),voyage entre le cinéma et les arts plastiques, entre Son et Image, entre la réalité et le rêve : le « Capitaine » [4] a le génie du voyage. Dans son univers tout bouge (ou pourrait bouger),tout se rencontre, tout voyage physiquement, mentalement, bref tout circule comme la vie, à l’image de cette eau qui coule et irrigue l’exposition. Le souvenir des trajets s’insinue dans le corps et l’esprit des œuvres (le voyage est chez lui synonyme de liberté).Il est chez lui partout: sa patrie est sa mémoire.

C’est surtout après sa venue à Strasbourg qu’il s’empare de cette donnée constitutive de toute exposition, à savoir le transport obligé de l’œuvre vers son lieu d’exposition, pour l’interroger comme partie non visible, toujours refoulée mais pourtant éminemment active des œuvres montrées. (Les bandes magnétiques qui se multiplient aussi après 1981 répondent un peu à ce même principe). « L’exposition dit-il est cet atterrissage, montrant plusieurs choses remplies, des mémoires de voyage » [5].On perçoit bien ce phénomène dans le principe qui régit les « 3 Mises en Scène » de Berne, Genève et Villeurbanne [6]. D’ailleurs, tout titre provoque immanquablement un voyage par rapport à l’œuvre ; c’est sa quatrième dimension, affirmait Duchamp.

L’alchimie du voyage transforme le temps en espace ; il privilégie le retour sur soi, la concentration, la vitesse de la pensée, la mémorisation et les facultés prospectives. Sarkis met à profit ce moment en imaginant des expositions à venir, en réalisant ses aquarelles.

Son « atterrissage » à Strasbourg est toujours l’occasion d’échanger nos expériences de la semaine passée, de préparer nos activités du lendemain. Parfois, lorsqu’il n’a pas sa boîte d’aquarelles, il m’en réclame et devant un thé, je le regarde appliquer le pigment sur le papier imbibé. Mais c’est lorsqu’il se retire pour regagner son atelier de la Krutenau, « Le Département des Kornemuses » [7] comme il aime l’appeler, qu’un autre travail s’effectue, dans l’ombre. Tout ce que je sais, c’est qu’il y a réalisé un nombre considérable d’aquarelles mais il met beaucoup de réticences à les montrer. La porte d’entrée du « Département des Kornemuses » comporte trois verrous : il est toujours demeuré très discret sur son activité dans son atelier de la Krutenau.

Quelle image peut-on se faire de son travail effectué à Strasbourg ? S’il paraît oiseux d’essayer de savoir si l’air de la ville provoque des effets particuliers sur la qualité de son inspiration, il peut être instructif de suivre la manière dont il intervient dans une région, notamment dans celle qui lui est progressivement devenue familière. Sa deuxième exposition personnelle, après Attitude, se présentait sous forme de trois « Sculptures de cheminées » intitulées « Kriegsschatz, les cendres de Gramsci« , sept années après son arrivée à Strasbourg. Le titre « Les cendres de Gramsci » reprend, en fait, celui d’un poème du cinéaste P.P. Pasolini.

Dans la petite vitrine du quai des Pêcheurs, dirigée par l’association ARTEL, pas d’original, pas de pièce unique mais trois sculptures d’une édition de trente-six. L’original n’existe pas, ou si l’on veut, c’est l’idée initiale. Chaque sculpture est composée d’une pile ficelée de trente-six journaux et d’une boîte d’allumettes imprimés en trois couleurs. De toutes les œuvres montrées en Alsace celle-ci est la plus conceptuelle et aussi celle qui a le caractère le plus explicitement idéologique puisqu’elle évoque ce théoricien marxiste du pragmatisme ; par ces cendres, c’est l’aspect essentiellement concret de la pensée de Gramsci qui est soumis à notre regard et proposé comme exemple. Sarkis offrit plusieurs de ces sculptures afin de permettre aux responsables de l’association, anciennement étudiants à l’école, de poursuivre leur action et de financer un catalogue présentant les douze artistes qui ont exposé en ce lieu. Sarkis lie ses actes à ses convictions et celles-ci rejoignent Gramsci. Rappelons que depuis environ une dizaine d’années Sarkis avait relégué au second plan les références politiques directes. Par son titre, « La Source éclaire toujours« , l’exposition présentée l’année dernière à Finnegan’s répondait à celle d’Attitude comme un écho ; elle rappelait aussi « La Source éclaire » montrée à la galerie Surface de Réparation de Saint-Etienne en 1978 [ill. 3],

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Maiakovski – Lissitzky ou La Source Eclaire., Galerie Surface de Réparation, Saint-Etienne, 6 Mar – 26 Mar 1978

c’est-à-dire exactement dix ans plus tôt : une série de grandes photos représentant son atelier paraissaient immobilisées par une longue bande magnétique qui faisait le tour de tout l’espace de la galerie en reliant tous les cadres entre eux. Une couleur verte recouvrait le bord de chaque photo : c’était de la mort-aux-rats. Sarkis indiquait ainsi symboliquement sa détermination à protéger son territoire de travail, son atelier. Et sur la bande magnétique, trouvée à Strasbourg et offerte à l’artiste, un échange de conversation de pilotes Sarahoui…Comment interpréter le choix de ces photos de son atelier de Paris (« la Source ») dans la ville où l’artiste a un autre atelier? Peut-être la présente exposition apportera-t-elle des précisions sur cette question.

C’est grâce au FRAC Alsace que, pour la première fois, une œuvre de Sarkis entre dans une collection publique de la région, avec une sculpture très particulière dans sa production puisqu’il s’agit d’un autoportrait. « Le masque de Sarkis ou le buste en pâte à modeler qui écoute le walkman » [8] offre en outre une originalité puisqu’il permet d’entendre le son. Réinterviendra-t-il sur cette sculpture, puisqu’entre temps il a rasé ses moustaches? L’exposition « Le Feu d’artifice rouillé » à l’espace Transit [9] est liée à cet autoportrait ; en effet, le masque ainsi qu’un travail réalisé à partir d’un vieux fusil rouillé avaient tous deux servi ensemble pour la réalisation d’une immense affiche (3 m x 4 m) qui fut placardée par une association dans le cadre de l’opération « Réseau Art », en 1983. Lorsque le masque fut proposé au FRAC, l’affiche n’existait pas encore et le masque fut acquis seul. Mais lorsque l’affiche fut diffusée à 1000 exemplaires dans 90 villes de France,

la sculpture parut soudainement incomplète pour les millions de personnes qui avaient vu l’affiche. Pour répondre au refus du FRAC d’acquérir le fusil, Sarkis décida de présenter celui-ci seul, et lui seulement, en un feu d’artifice rouillé, dans le vaste espace de Transit.

Sarkis n’a pas l’habitude d’exposer en plein-air ; ces dernières dix années, il en a réalisé deux ; l’une à Genève, où il a fait écrire avec des pensées le mot KRIEGSSCHATZ dans la pelouse d’un parc de Genève, l’autre à Séoul, où il exposa une importante sculpture sur le thème de la dérive des continents [10]. Il accepta néanmoins l’invitation de l’association Traces + Signes pour participer à Signes d’Etangs [11]. Il réalisa « Les Douze couteaux Kriegsschatz d’Altkirch » et il l’immergea partiellement dans l’étang de Carspach ; il l’exposa à nouveau dans la salle des canons du Musée Historique pendant l’exposition Maintenant. Tout, ou presque, semble avoir été écrit sur cette dernière exposition ; elle réussit le tour de force d’imposer tout à coup l’idée que Strasbourg renouait avec l’actualité artistique. Je me permettrai juste de remarquer que Sarkis utilisa en l’occurrence une stratégie qui lui était jusqu’à présent inconnue: se montrer par « camouflage doré ». L’aspect très raffiné, presque luxueux, des pièces exposées, contrastant très violemment avec sa production d’il y a dix ou vingt ans, n’en était que plus ironique et subtil.

L’impossibilité pour un plasticien de visualiser le son et l’envie de faire néanmoins appel à toute la musique, réelle ou enregistrée [12] ont représenté une part non négligeable de ses investigations à Strasbourg. (N’est-ce pas également pendant qu’il effectuait ses incessants allers-retours entre Paris et Strasbourg qu’il commença à généraliser l’utilisation de la bande magnétique?).

Ainsi, avec le caillou que posa Sarkis sur les touches du « Piano-Kriegsschatz« ,nous pouvons enfin visualiser le son ; il était bien là, sous nos yeux, dans notre tête. Le son paraissait ne jamais devoir s’éteindre [13].C’est le désir de se plonger dans un immense bain musical, visuel et cathodique qui caractérisent l’intervention « Passportstrip » [14] qu’il fit en compagnie du contrebassiste Barre Phillips et du cinéaste Robert Kramer. Jamais il n’avait réussi à nous faire voyager aussi intimement des arts plastiques au cinéma et du cinéma à la musique ; ce cinéphile passionné (il est capable de voir plus de quinze fois le même film) a d’ailleurs confirmé, dans un interview [15] que « le glissement du cinéma dans son travail (…) est clair. mais, ajoute-t-il, davantage que le cinéma, ce sont certains cinéastes qui m’intéressent (Bergman,Tarkovski,Straub,Godard,Mizoguchi,Dreyer,Fassbinder).Tous font des miracles. Je ne peux pas citer autant de plasticiens du XXe siècle, à ce niveau-là. J’ai appris beaucoup plus auprès des cinéastes que des plasticiens ».

Le 10 avril 1987,le salon d’honneur du château des Rohan de Saverne servit de cadre à un spectacle très exceptionnel. Quelques mois plus tôt, Catherine et Marc Kreidenweiss, viticulteurs d’Andlau, avaient sollicité Sarkis pour créer une étiquette de vin ; ils souhaitaient que cette étiquette puisse visuellement donner une idée de la finesse de leur vin et c’est la raison pour laquelle ils firent appel à lui. Afin de le remercier, l’idée fut lancée de donner un spectacle en l’honneur du travail réalisé ; pour « Entr’Acte en vert et rouge« , Sarkis avait disposé sur des nappes rouges et vertes une série de bouteilles auxquelles répondaient, sur une autre table, plusieurs dizaines de tulipes identiques à celles photographiées sur l’étiquette. Chacun des cinq vins fut d’abord commenté par M.Kreydenweiss, puis interprété musicalement par le contrebassiste Andréas Scheer et le pianiste Siegfried Liebel. Le public, assis était ainsi invité à déguster, à admirer, à écouter. Entre chaque vin, à chaque pause, Sarkis présentait de manière légèrement différente la sculpture qui avait servie de modèle à l’étiquette. L’odeur des tulipes, mêlée à la délicatesse du vin à la douceur de la musique et à la sobriété de la mise en scène firent de cet événement un moment de correspondances quasi baudelairien. Comme l’indique son titre, cet « Entr’Acte » constitue un moment tout à fait unique dans l’œuvre de Sarkis.

Une raison simple m’incite à ne pas m’attarder sur une autre intervention, inhabituelle chez Sarkis ; en effet, 250.000 lecteurs ont eu la possibilité d’en prendre connaissance, principalement en Alsace il est vrai ; je veux parler de l' »Ange » paru dans le journal Les Dernières Nouvelles d’Alsace, le 30 décembre 1987.Un mot de l’artiste accompagnait cette image : « Cet ange est dessiné directement sur le papier du journal. Mes empreintes touchent l’ange. C’est l’original. Cet ange a tourné 250.000 fois sous les rotatives pour devenir une image de l’ange, un multiple de l’ange. Je veux qu’il redevienne « original » en le faisant toucher par les lecteurs, surtout par les enfants des lecteurs. C’est Noël ou l’espoir d’un nouvel an. Il suffit pour cela que vous posiez vos propres empreintes, à la couleur que vous choisissez, sur mes empreintes. Ainsi, l’ange pourra se sauver des machines. P.S. : Pour la petite histoire du dessin: le dessin a comme origine un instrument musical en terre cuite de Mantena (civilisation Equator, 500 av. J.C.- 1500 ap. J.C.),de 8 cm de haut. C’est un ange guerrier dont la sonorité était sûrement conçue pour arrêter toute guerre ».

Conçue et réalisée à Strasbourg, cette image en a suscité une autre, à l’aquarelle, qui a voyagé à Istanbul et qui sera vraisemblablement présentée à Strasbourg, avec les traces des doigts des visiteurs d’Istanbul [16] ; il y a invité, en effet, les visiteurs à toucher la vitre derrière laquelle se trouvait le dessin original, renouant avec la très ancienne tradition qui attribuait, aux icônes en particulier, des pouvoirs médiumniques. (Il y aurait lieu de revenir sur les rapports que son travail entretient avec le culte orthodoxe ainsi qu’avec l’art byzantin).

Pour terminer ce tour d’horizon des manifestations de Sarkis en Alsace, je suivrai le trajet de l’esprit japonais du XIXe siècle ; il fut trouvé et travaillé par lui à Strasbourg et il était présent au Château de Saverne, au Palais Rohan et au Musée d’Art Moderne [17].D’abord calmement posé sur la cheminée des palais, le voilà soudain qui s’élève au-dessus du bateau, dominant toute l’exposition de « Saturne« . A ses pieds, « Les Cinq rouleaux en attente » ; dix-sept années séparent les deux. Elles sont pourtant animées d’une même tension, en alerte, l’une avec son inquiétante minuterie, l’autre avec le choc du laser, et elles visent un seul objectif: percer l’inconnu de l’avenir.

Le provisoire inventaire des activités multiformes développées par Sarkis incite à revenir sur certains aspects de son rôle de pédagogue, à commencer par sa manière d’être avec (et non pas face à) ses étudiants. Et c’est la générosité qui qualifie d’emblée son rapport à ses élèves. L’enseignement a cela de commun avec l’œuvre d’art qu’elle ne vaut que par la générosité qu’elle contient ; elle se manifeste sous des apparences très hétérogènes: le prêt de ses livres, de ses appareils photo, les dons à la bibliothèque et, à l’occasion, nous avons pu remarquer qu’il n’hésite pas à faire don de certaines de ses œuvres pour qu’elles servent de Kriegsschatz, de monnaie d’échange. Il attache aussi une attention extrême au progrès de chacun ; il suit journellement tous les travaux et il est capable d’en parler, plusieurs années après. Dès les premiers jours, les étudiants ont été sensibles à ses qualités humaines et il faut rappeler à ce sujet une anecdote significative : le jour où il subissait les épreuves de son concours de recrutement, les étudiants se relayèrent toute la journée pour l’assurer de leur soutien et de leur confiance. Quelques uns s’étaient même maquillés avec ostentation comme pour une cérémonie primitive.

D’emblée, il s’adresse à eux comme à des collègues plus jeunes, le seul avantage qu’il se reconnait étant quelques années d’expérience supplémentaires ; et il n’y a dans son attitude aucune démagogie. C’est ma façon de resituer le rapport pédagogique sur le terrain où il devrait effectivement se placer. Il n’a pas de recette particulière ou de formule miracle, pas de thèmes, pas de sujets à proposer: le seul sujet donné, c’est eux. Chaque talent doit se conquérir la science et la réflexion qui lui sont nécessaires et cette science, cette connaissance ne pourront être fondées que sur la connaissance de soi. Dans ce métier, il faut savoir qu’il faut s’enseigner soi-même: aux enseignants d’aider à cerner le principe de développement et de perfectionnement de chacun. Sans doute n’est-ce pas l’endroit d’approfondir les fondements théoriques, les conceptions et méthodes pédagogiques qui animent Sarkis. A la place de cela, je tiens plutôt à rappeler, par exemple, ce qu’il me disait avoir retenu de la lecture de Kierkegaard: c’était une seule phrase qu’il considérait capitale à ses yeux et qui disait en substance : chaque chose doit être faite sur le moment, en son temps ; essayer de rattraper ce temps serait perdre son temps. Son enseignement serait plus nourri de considérations générales de cet ordre, sur la vie. Il cherche toujours le sens du travail, le sens des rapports, le sens des différentes attitudes prises par chacun et comment ce sens prend forme. Il insiste sur la recherche de la concentration indispensable et sur le fait qu’il faille toujours aller vers l’essentiel, le plus sincèrement. Le but est de permettre (ou plus modestement, de faciliter) l’éclosion du jaillissement créateur, dans ce qu’il comporte de plus irréductiblement personnel. Que le futur artiste se découvre, qu’il s’aperçoive alors que sa richesse, la seule qui vaille, n’est que sa quête artistique qui l’occupera sa vie entière. La révélation de l’artiste ne peut se faire, fondamentalement que de manière individuelle ; elle a néanmoins besoin d’un milieu d’accueil favorable, prêt à l’analyse, à la critique mais aussi à l’étonnement et, pourquoi pas, à l’émerveillement. Outre un certain nombre de cours obligatoires comme la culture générale et la participation aux conférences hebdomadaires données par des personnalités du monde artistique, la pédagogie repose principalement sur deux approches: l’entretien individuel devant le travail ou les projets et la présentation, sous forme d’exposition, devant le public étudiant et enseignant, d’une série de travaux et d’esquisses préparatoires.

Sarkis se montre alors d’une grande exigence même s’il sait avoir infiniment de tact ; il leur répète que le monde de l’art est cruel. Il engage les étudiants à prendre la parole, à poser des questions, à formuler les réflexions que leur inspirent les travaux exposés. Il accorde une grande importance au choix et au respect des matériaux, aux raisons de leur choix et à l’accrochage, à la mise en espace. L’étudiant doit s’efforcer, seul, de se trouver et de trouver (de créer) les formes, les matières et leur juste rapport dans l’espace afin que l’ensemble s’accorde au mieux avec les intentions initiales. Rude épreuve et qui se trouve valorisée dans la globalité du contrôle continu. Sarkis attend que la présentation orale qui est faite corresponde à la nature, au sens et à l’apparence des travaux ; il souhaite aussi que les créations puissent être mises en relation avec les œuvres d’autres artistes, contemporains ou non. A la suite de ces entretiens personnels ou des expositions-discussions, une petite feuille est remise -on l’appelle ironiquement « l’ordonnance »- à l’étudiant : y sont consignés les points essentiels abordés au cours de la séance, avec des références bibliographiques des noms d’artistes dont il est conseillé de voir les œuvres, sur lesquels ils auront à se documenter pour approfondir, alimenter et enrichir leurs recherches.

Tous les ans, Sarkis fait une ou le plus souvent plusieurs conférences où il se soumet un peu à la même règle ; il commente les diapositives de ses expositions ou d’autres artistes, d’autres étudiants de France ou de l’étranger. Fréquemment invité dans d’autres écoles, il est très informé des méthodes et des résultats obtenus ailleurs [18].Sa conférence-exposition intitulée À quoi bon la lumière, tenue les 7 et 8 janvier 1986 à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Limoges permet de saisir le rapport qu’il établit entre son art et l’enseignement. La conférence traitant de ces « 3 Mises en Scène » de Berne, Genève et Villeurbanne dura quatorze heures d’affilées sur deux jours! En même temps qu’il commentait ses diapositives, il réalisait de grands dessins retraçant la forme et la disposition des œuvres exposées ; à l’issue de sa conférence, ces dessins servirent de base à une exposition que les étudiants mirent en scène en collaboration avec leur auteur. Deux heures après la conférence s’ouvrait l’exposition. De retour à Strasbourg, Sarkis organisa une autre conférence avec des diapositives pour l’information, cette fois-ci, de ses propres étudiants.

De la même manière, lorsqu’en 1982 il fut sélectionné à la Dokumenta VII, il proposa aux étudiants de l’accompagner ; ils furent une vingtaine qui eurent la possibilité d’assister aux préparatifs, de voir l’envers du décor d’une exposition, de rencontrer les artistes, de discuter, de leur demander éventuellement leur opinion sur leurs recherches. On ne peut imaginer stage plus enrichissant. L’intérêt pour l’envers du décor [19] rejoint une constante de sa création: « derrière l’image, il y a soit une autre image, et l’on continue la fiction, soit l’envers du décor, et l’on n’est plus dans la fiction…Dans mon travail, il y a toujours ce coté très fictionnel et très terre-à-terre à la fois. Une poussée de l’imagination, et l’invitation à prendre en compte la réalité » [20].

Sa pédagogie doit être efficace puisqu’après leurs études, (parfois même pendant!) les réalisations des étudiants sont exposées dans des institutions réputées ; le taux de réussite aux diplômes nationaux est des plus élevés et les méthodes pratiquées servent de référence au sein de l’école et dans d’autres établissements. En tout cas, l’esprit « Département Art » a marqué et « teinté » l’ensemble de l’école. La direction du ministère a étendu à l’ensemble des autres écoles françaises l’initiative, prise à Strasbourg, d’enseigner l’esthétique ; elle a également donné suite à la proposition de Sarkis d’introduire, parmi les membres du jury des diplômes nationaux un enseignant issu de l’école à titre de « rapporteur » du candidat. Il va sans dire que la présence de Sarkis a compté dans le rayonnement de l’école.

L’influence de sa personnalité déborde le strict cadre de cet établissement ; elle s’exerce bien au-delà et c’est la conséquence logique et souhaitable de tous ses efforts et de ceux des autres enseignants. Grâce à eux, les étudiants ont été formés aux ingrates réalités de l’exercice professionnel: pour les affronter, ils n’ont que la confiance en leur capacité et l’obligation de prendre en main leur propre destin, en s’aidant de ce qui leur a été enseigné. Aujourd’hui pourtant, l’immense travail qui a été entrepris par certains anciens étudiants a amélioré partiellement les conditions d’insertion des plus jeunes. En quelques années, en quelques mois, Strasbourg connut l’éclosion de nombreux regroupements d’artistes, parfois éphémères, parfois moins comme « Les chameaux sont aussi des animaux » ou le F.R.I.C. (Fonds Régional d’Intervention Culturel) [21].Ces associations, en même temps qu’elles attiraient l’attention sur des lieux inoccupés, susceptibles d’être aménagés en salle d’exposition ou en ateliers d’artistes (qui font cruellement défaut en Alsace) permettent d’effectuer leurs premiers pas à un grand nombre de très jeunes créateurs. Elles ont largement contribué à dynamiser l’ensemble du tissu culturel alsacien et à donner à son image une bien meilleure définition. Ces associations s’appliquèrent surtout à donner à cette image le rayonnement national que l’on sait. A l’éclosion de ces associations s’ajouta une prolifération d’expositions personnelles et surtout collectives. Sachant qu’il est presque impossible d’être exhaustif, je ne citerai ici que Stationnement gênant (1981 et1982), Entreposition (1982) et pour la seule année 1984, 18h30, 8 au Bandit, Espace 120 minutes

L’association ARTEL a réussi à focaliser les énergies et a fourni un immense travail d’organisation et un lien permanent de communication entre ces jeunes créateurs et des institutions, des organismes associatifs. Cette association d’artistes issus de l’atelier de Sarkis présente en 1986,au Château des Rohan de Saverne, la plus importante exposition de sculptures contemporaines jamais vue en Alsace grâce à la présence de trente artistes qui avaient presque tous réalisé des travaux spécifiques en fonction du lieu : Dimensions singulières. Deux ans plus tard, ce fut Nouvelles impressions de Strasbourg au Palais du Rhin avec un nombre encore plus considérable de participants: de plus jeunes encore s’étaient rajoutés. Ces deux manifestations attirèrent un public nombreux, attentif et la presse nationale et allemande saluèrent l’exposition comme une incontestable réussite. En 1987,soucieux de conférer à leur action un caractère de permanence, l’association organisa durant toute l’année une suite de douze expositions.

Grâce à ce foisonnement de manifestations quelques artistes se sont fait connaître hors du cadre régional ; leurs œuvres sont régulièrement sélectionnées et commencent à trouver une réelle « existence » par cette circulation: c’est le cas par exemple, des sculptures d’Alexandre Früh retenues par Germinations IV. Cette manifestation organisée par le Ministère de la Culture en relation avec d’autres services officiels étrangers a permis à ces œuvres d’être présentées de 1987 à 1988 à Marseille, à Breda, à Londres et à Bonn. Les Ateliers de l’ARC ont retenu Michel Aubry, Stéphane Lallemand et Veit Stratmann entre 1986 et 1988. Sept strasbourgeois exposèrent à Pierre et Marie, Une exposition en travaux à Paris (1982-1984) ; et l’ont sait tout ce que cette manifestation, très remarquée, doit à Sarkis. Un Aspect du Département Art (1984) fut présenté au Musée Historique dans le cadre des Écoles d’Art en Europe.

Il faut surtout remarquer les nouvelles relations qui ont pu s’instaurer entre les Musées, la jeune génération et plus précisément l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg. Celles-ci se sont concrétisées avec éclat au cours des deux dernières années puisque les Musées ont déjà consacré, dans la série Travaux en cours quatre importantes expositions en direction des jeunes talents.

La collectivité a manifesté, surtout après 1981,un intérêt nouveau pour les arts plastiques contemporains et c’est aussi dans ce contexte qu’il faut resituer ce qui a pu être fait dans notre région. Ainsi, depuis quelques années déjà, le FRAC Alsace s’est penché sur les œuvres de jeunes artistes et des organismes tels que le C.E.A.A.C. ont contribué à soutenir la jeune création [22].

Depuis dix ans la situation a beaucoup changé (mais surtout dans « les états des esprits »).

Discrètement, Sarkis continue à aider, à conseiller, à encourager et à inciter les nouvelles initiatives. Il continue à créer dans son atelier de Paris et au Département des Kornemuses. Strasbourg est devenu ce terrain d’atterrissage (mais aussi de travail et de décollage) où s’exerce son action pédagogique, prolongement naturel de sa création [23].La ville de Strasbourg représente cet espace physique et mental intermédiaire entre les voyages qui séparent la « source » de ses autres territoires que sont ses expositions.

Il faut attendre la dernière image du film pour qu’il commence à exister en nous réellement. Le temps est venu (je l’espère) de franchir ce seuil: que le silence éclaire son énigmatique beauté.

Claude Rossignol, 1989.

NOTES


[1] Le Voyage de la sculpture du Pêcheur en Monte-charge, galerie J.J.Donguy, Paris,1982.

[2] La fin des Siècles, le Début des Siècles, ARC, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris,1984.

[3] Ibid.

[4] Par jeu, Sarkis s’est dénommé « Capitaine » pour ses étudiants ; le jeu, on le sait, peut parfois habiller des vérités.

[5] La fin des Siècles, le Début des Siècles, ARC, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris,1984.

[6] 3 Mises en Scène de Sarkis, Ma Mémoire est ma patrie, Kunsthalle, Berne, Trio avec viola d’amour…, Centre d’Art Contemporain, Genève, Les Trésors du Captain Sarkis, Le Nouveau Musée, Villeurbanne,1985.

[7] Sarkis a ainsi baptisé son atelier de Strasbourg en honneur à son ami et ancien étudiant Michel Aubry ; celui-ci s’est fait connaître par les cornemuses qu’il a réalisées dans les matériaux les plus étonnants (plexiglas, bakélite…).Il évoque également la mémoire du Département Art, et le K des Kornemuses garde en mémoire le K des Kriegsschatz ainsi que du quartier de la Krutenau où se trouve l’atelier. Sarkis et Aubry exposèrent ensemble à Chateauroux, ville natale de Michel Aubry et l’exposition s’est naturellement appelée Le Département des Kornemuses (Centre d’Art Contemporain de Chateauroux,1984).

[8] Cette œuvre fut présentée seule à l’entrée des trois expositions inaugurales du FRAC Alsace (Musée de l’Impression sur Etoffes de Mulhouse, au Cédric de Sélestat et au Musée d’Art Moderne de Strasbourg en 1984/85).

[9] Le feu d’artifice rouillé, Espace Transit,1988 ; le carton d’invitation stipule que « la nature de l’exposition ne permet pas un vernissage ».

[10] L’œuvre fut conçue à Strasbourg et sa réalisation confiée à une entreprise de la place.

[11] Signes d’Etangs, étang de Carspach, Altkirch (Haut-Rhin), 1986.

[12] « La bande magnétique joue sa vraie fonction,celle de sa mémoire.(Cette fonction n’a pas changé, mais a évolué depuis 1971 avec la pièce: Une mémoire et 7 roulettes »), Sarkis, in La Fin des Siècles, le Début des Siècles, ARC, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris,1984.

[13] Le Piano-Kriegsschatz, exposition Devantures, Vitrine de la pharmacie de l’Homme de Fer, Strasbourg, 1984.

[14] PASSPORTSSTRIP, (avec Robert Kramer et Barre Phillips, Grand Garage, Strasbourg, 1983.

[15] « Rencontre avec le Captain, propos suscités par Faruk Gunaltay », Contreplongée, novembre 1988.

[16] Galerie Maçka Sanat, Istanbul, 1989.

[17] Cette sculpture servit de moule pour une sculpture qu’il fit fondre en bronze. A l’intérieur de celle-ci il versa du vin de Lynch-Bages de l’année. Il décida que le vin serait goûté à son meilleur degré de maturation, c’est à dire en l’an 2007 .Exposition Le bateau ivre navigue dans le corps de la sculpture, Château de Lynch-Bages (Gironde),1987.

[18] Il fut, entre autre, invité par Pontus Hulten à participer à la session inaugurale de conférences, sur une période de trois mois à l’A.F.E.M.I.S. avec Serge Fauchereau et Daniel Buren, en hiver 1988.

[19] Sculptures du Décor, Galerie Eric Fabre, 1982.

[20] « Rencontre avec le Capitaine, propos suscités par Faruk Gunaltay », Contreplongée, novembre 1988.

[21] Le F.R.I.C. est composé de Michel Aubry, d’Agnès Bourrinet, de Daniel Schlier et de Manfred Sternjakob. Ce groupe exposa au C.A.C. de Châteauroux, à l’A.P.A.C. de Nevers et au Musée des Beaux-Arts de Mulhouse, en 1987 et 1988.

[22] Le C.E.A.A.C. a notamment aidé ARTEL en passant commande à Georges Rey d’une vidéo sur l’exposition « Nouvelles Impressions de Strasbourg« .

[23] Eloigné trop longtemps de la France, Sarkis m’a confié cet automne que plus qu’à Paris, c’était vers Strasbourg, et plus précisément vers certains étudiants, qu’allaient ses pensées.